DÉFRICHEMENTS (histoire médiévale)

DÉFRICHEMENTS (histoire médiévale)
DÉFRICHEMENTS (histoire médiévale)

DÉFRICHEMENTS, histoire médiévale

Les défrichements sont les progrès les plus spectaculaires réalisés par l’agriculture médiévale; ils ont permis de cultiver de vastes étendues gagnées sur les landes et la forêt, mais aussi sur les marécages, les fonds de vallées humides, les bords de mer: les polders flamands ou les fens anglais sont à inclure dans ce mouvement. L’aire des défrichements couvre toute l’Europe occidentale, jusqu’à l’Elbe et parfois au-delà, mais il faudrait beaucoup nuancer dans le détail: des régions comme la Champagne ou la France du Nord n’ont pas connu les grands défrichements, étant déjà depuis longtemps entièrement occupées.

Chronologiquement, ces défrichements s’étendent du Xe au XIIIe siècle, et ont pour origine la poussée démographique qui rendait nécessaire l’extension des terres cultivées; mais ils n’ont été rendus possibles que par un progrès de l’outillage: remplacement progressif de l’araire par la charrue, dans les régions à sol lourd; amélioration de l’outillage en fer (collier d’épaule et ferrure du cheval notamment). Ces défrichements se sont déroulés selon des modalités diverses que l’on peut regrouper en trois grandes étapes.

La première vague, aux Xe et XIe siècles, était due à des initiatives individuelles et dispersées: les paysans grignotaient peu à peu l’espace inculte avoisinant leurs champs: l’aspect presque clandestin du phénomène interdit d’en mesurer l’ampleur. D’abord indifférents, les seigneurs et l’Église allaient vite mesurer les ressources qu’ils pouvaient tirer de ces nouvelles parcelles: ils imposèrent au paysan des redevances généralement en nature (champart, tâche...), malgré le désir de ce dernier de faire reconnaître comme «alleux» des champs qu’il ne devait qu’à son travail, mais qui relevaient du domaine seigneurial.

C’est cet intérêt nouveau des seigneurs pour les défrichements qui est à l’origine de la deuxième vague, qui marque l’apogée du mouvement, au XIIe siècle: on assiste là à des créations de grande ampleur, des villages entiers et leur terroir étant créés de toutes pièces, avec un succès inégal d’ailleurs. Il s’agit d’entreprises à rentabilité à long terme: de grosses sommes sont investies dans l’essartage et le drainage des eaux et doivent ensuite rapporter sous forme de redevances. Cela suppose d’importantes mises de fonds, mais surtout des conditions juridiques précises, car, pour attirer les «hôtes» qui mettront en valeur le nouveau terroir, il leur est offert un statut personnel plus libéral que celui qu’ils avaient dans leur ancien village; mais les paysans ne cédent à cette tentation que lorsque le nouveau seigneur est assez puissant pour les garantir des poursuites de l’ancien; cette puissance du seigneur entrepreneur lui servira aussi par la suite à imposer la levée des redevances sur son nouveau village. Aussi les seigneurs doivent-ils souvent s’associer, le contrat d’association («contrat de pariage») précise la répartition des fructueux droits de justice et de police (administration) sur le futur village. Le bon état de conservation des archives ecclésiastiques a pu donner l’illusion que les abbayes avaient été les principaux entrepreneurs de défrichements, alors que très souvent les communautés religieuses se livraient à une activité pastorale plus conforme à leur idéal de vie retirée et défendaient la forêt qui protégeait leur clairière des intrusions de la vie séculière. Mais, en fait, les créations de «villeneuves», «bastides», «fertés» ... ont été très souvent dues aux seigneurs laïcs, les plus puissants d’entre eux y voyant, en plus de l’intérêt pécuniaire, un intérêt politique et stratégique: par l’établissement de villages dépendants d’eux, le roi de France, ou le comte de Champagne, par exemple, affermissaient leur domination sur des zones frontières jusqu’alors mal contrôlées. Cette deuxième vague de défrichements a abouti à la création de villages, au nom et à la forme typiques (habitat groupé, plan souvent géométrique), et de terroirs en openfield, aux parcelles régulières.

Puis ce mouvement s’essouffle au tournant des XIIe et XIIIe siècles, la quasi-totalité des terres susceptibles d’un défrichement profitable ayant été mises en valeur. Il est remplacé par une troisième vague, plus modeste, qui n’ira pas jusqu’à la fin du XIIIe siècle (sauf exceptions locales, notamment en Aquitaine). C’est le retour aux initiatives individuelles marginales, qui aboutissent à un peuplement intercalaire et souvent à un paysage de type bocager; mais ces derniers pionniers menacent dangereusement l’équilibre déjà précaire entre la part cultivée des finages et leur part non cultivée, dévolue à l’élevage, à la cueillette et nécessaire à l’équilibre écologique. C’est pourquoi seigneurs et communautés villageoises sont souvent intervenus pour freiner ces dernières tentatives.

Les défrichements devaient modifier définitivement les conditions de vie des pays qui les connurent. L’extension des terres cultivées a permis le recul des famines et favorisé le passage à l’assolement triennal par l’adjonction d’une troisième sole au terroir cultivé. Les paysans très dépendants des anciens villages se sont inspirés du statut plus indépendant (au moins en droit) offert aux «hôtes» des nouveaux villages pour réclamer une amélioration de leur sort. Enfin, nous devons aux défrichements l’essentiel du paysage actuel de nos campagnes, bien que toutes les entreprises d’essartage n’aient pas connu un succès durable, certaines terres de trop médiocre qualité ayant été abandonnées dès le XIVe siècle.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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